Séminaire organisé par le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, en partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie et l’UNESCO, en collaboration avec l’Observatoire de la diversité et des droits culturels.
Genève, 1-2 février 2010 Palais des Nations Salle XXI |
Document de travail n° 1 |
DEFINIR LES DROITS CULTURELS
Document de travail soumis par M. Patrice Meyer-Bisch
Pour une mise en œuvre des droits culturels. Nature, enjeux et défis
HCDH – UNESCO – OIF, Genève, Palais des Nations, 1-2 février 2010
Définir les droits culturels
Patrice Meyer-Bisch
1er février 2010
Enjeu : l’universalité concrète........................................................................................................................... 2
1. Changement de paradigme politique.......................................................................................................... 3
2. Nécessité d’une clarification en logique universelle.............................................................................. 4
3. Définition............................................................................................................................................................. 6
4. Renforcement de l’indivisibilité et de l’interdépendance...................................................................... 9
5. Les obligations................................................................................................................................................ 12
Proposition : l’obligation de respecter est d’abord celle d’observer................................................... 12
Enjeu : l’universalité concrète
Les droits culturels forment encore un très large trou dans le filet de protection des droits de l'homme. Les questions d’identité sont au plus intime du respect de la dignité humaine et du droit de chacun de participer à un ordre « tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet » (Déclaration universelle, art. 28). Elles sont au principe des question de violence et de paix, de pauvreté et de richesse. La crainte, certes justifiée, du relativisme a largement empêché de considérer l’homme individuel, sujet de droit, dans ses milieux concrets. L’universalité est restée trop abstraite, alors qu’elle se concrétise dans le droit individuel à vivre singulièrement son humanité. On a pensé l’universalité comme si elle pouvait être au-delà des cultures, alors que ce sont les cultures qui doivent l’inventer, la développer, dans un dialogue de plus exigeant. Ce ne sont pas des « cultures » qui dialoguent, comme si des blocs homogènes existaient, ce sont des femmes et des hommes porteurs et en quête de cette universalité qui ne se recueille que dans un partage exigeant de la richesse des œuvres et des expériences culturelles.[1]
1. Changement de paradigme politique
§1. Le tournant politique : la prise en compte de la diversité
L’adoption en septembre 2001 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, officialisant la définition large de la culture adoptée à Mexico en 1982, puis en 2005 de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, représente symboliquement le grand virage politique actuel. Alors que la diversité culturelle était considérée comme un frein au développement, un obstacle à la modernité et donc au progrès, à la science et à la démocratie, elle est aujourd’hui de plus en plus comprise comme une ressource pour chacun de ces domaines et pour la paix. Alors que le culturel arrivait en dernier, il apparaît maintenant comme matière première du développement politique et économique : à la fois une ressource, et une liberté de choix des valeurs à développer.
§2. La diversité conduit à la paix, la différence à la violence
Le « droit à la différence » met l’accent sur des séparations et des démarcations. Les personnes en situation de pauvreté ne cherchent pas à être différentes, mais au contraires à être ressemblantes. La revendication des différences conduit au risque de relativisme et de violence, car elle classe les êtres humains. La reconnaissance de la diversité signifie au contraire que nous sommes tous différents de multiples façons. Ces distinctions structurent les personnalités et les sociétés : leur valorisation est condition de toute richesse, culturelle, sociale, économique et politique, leur mépris est cause de gaspillages et de peur, et donc d’appauvrissement et de violences.
§3. Un développement de la liberté politique
« Les individus veulent être libres de prendre part à la société sans avoir à se détacher des biens culturels qu’ils ont choisis. C’est une idée simple, mais profondément perturbatrice. »[2] Pourquoi le Rapport du PNUD déclare-t-il que cette idée est perturbatrice ? Elle bat en brèche la prétention à la neutralité culturelle de l’Etat – ou au monoculturalisme national, ce qui revient au même. Cela signifie que l’exercice de la citoyenneté ne se réduit pas aux droits civils et sociaux, il implique une reconsidération des droits culturels.
§4. La neutralité de l’Etat, du marché et de la communication
Le respect, la protection et la réalisation des droits culturels implique une remise en question de beaucoup de neutralités qui, sous prétexte qu’elles relèvent de la raison universelle, étaient considérées comme « au-delà » des cultures. Il s’agit notamment des neutralités de l’Etat, du marché et de l’information (espace public). Face à la raison universelle, « une » culture était nécessairement particulariste. L’aveuglement de cette opposition, son oubli de l’histoire, fait place progressivement à la diversité culturelle en tant que vivier d’universalité et de modernités. La diversité culturelle ne peut être réduite aux marges d’interprétation, encore moins aux exceptions.[3] Ces trois neutralités prétendues demandent à être déconstruites « réenculturées », afin de respecter et réhabiliter la diversité des ressources culturelles de toute construction démocratique, et ce faisant de libérer ses capacités de croisement des savoirs et donc de progrès démocratique.
§5. La culture au sens large, certes, mais les personnes au centre
Le point de départ du changement de paradigme en cours est dans la définition que l’on adopte de la culture. La définition large développée par l’UNESCO depuis 1982[4] est difficilement contestable, mais elle a l’inconvénient d’être peu opérationnelle pour les droits de l'homme, c’est pourquoi, dans la Déclaration de Fribourg, nous avons recentré la définition sur la personne :
« le terme «culture» recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence et à son développement » (Art. 2, a.)[5]
Selon cette acception, une activité culturelle touche aussi bien l’intimité des personnes, que celle du lien social.
§6. Les « cultures » ne dialoguent pas, ce sont les personnes
Cette perspective a l’avantage de ne plus considérer les cultures comme des entités au-delà des personnes et les incluant. Ce sont les personnes qui sont considérées au sein de milieux culturels vivants, à formes variables, mixtes et changeantes. Les « cultures », comprises comme totalités homogènes, sont les leurres sociaux les plus dangereux, sources de toutes les discriminations, ingrédients indispensables des guerres et de la permanence des pauvretés. Les « cultures » n’ont pas assez de consistance pour être « personnalisées » au point de parler de « dialogue des cultures » : seules les personnes peuvent dialoguer, avec leurs cultures mixées et bricolées. Seuls existent des milieux culturels composites (comme le sont les milieux écologiques), plus ou moins riches d’œuvres culturelles auxquelles les personnes peuvent faire référence.
2. Nécessité d’une clarification en logique universelle
§7. Position au sein de l’indivisibilité
« Une clarification de leurs définitions au sein du système des droits de l'homme, ainsi que de la nature et des conséquences de leurs violations, est le meilleur moyen d’empêcher qu’ils soient :
- utilisés en faveur d’un relativisme culturel, allant à l’encontre de l’universalité des droits de l’homme,
- prétexte à dresser des communautés, voire des peuples entiers, les uns contre les autres.
Les droits culturels ont été souvent présentés en opposition ou à côté des droits de l'homme, alors qu’ils en sont partie intégrante conformément au principe d’indivisibilité. Au niveau universel, ils sont actuellement, et pour l’essentiel, compris dans le droit de participer à la vie culturelle et dans le droit à l’éducation. Il faut ajouter à cela les dimensions culturelles des libertés classiques ainsi que celles de l’ensemble des droits de l’homme. (…)Tiraillés entre droits civils et politiques, droits économiques et sociaux, et droits des minorités, la cohérence et la clarté des droits culturels ne sont pas suffisantes : leur définition est émiettée. C’est un vide préoccupant dans la protection d’ensemble des droits de l'homme, surtout au moment où le respect de la diversité culturelle apparaît être un enjeu essentiel de la mondialisation et un défi pour l’universalité des droits de l'homme. » (DS 2) [6].
§8. La protection mutuelle de la diversité et des droits culturels
La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle a établi le lien entre diversité et droits culturels[7] et défini le principe de la protection mutuelle entre diversité culturelle et droits de l'homme, interdisant ainsi les dérives relativistes et l’enfermement communautaire[8]. L’obstacle majeur à la reconnaissance du respect de la diversité est en effet que toute diversité culturelle n’est pas bonne en soi. C’est le respect des droits de l'homme, indivisibles et interdépendants, qui permet la valorisation mutuelle de tout ce que les milieux culturels contiennent de richesse et d’interprétation de l’universel. C’est aussi le dialogue interculturel en faveur d’une meilleure compréhension de l’universalité qui permet d’identifier les pratiques qui, sous prétexte culturel, sont contraires aux droits humains. Dans cet ensemble, les droits culturels ont naturellement une place particulière : leur respect garantit la participation de tous au patrimoine commun, ce capital de ressources que constitue la diversité culturelle. L’exercice des droits, libertés et responsabilités culturels constitue la fin et aussi le moyen de cette préservation et de ce développement, car cela signifie que chacun peut participer à cette diversité : y puiser des ressources et contribuer à son enrichissement. Les droits culturels permettent de penser et de valoriser la diversité par l’universalité, et réciproquement.
§9. Le couple universalité / diversité
Le droit de pratiquer sa langue est universel et il suppose le respect des liens que chaque personne entretient avec sa, ou ses, langues particulières. La réalisation du droit individuel implique des politiques raisonnables de protection de la diversité culturelle correspondante. Universalité et diversité culturelle ne s’opposent pas mais forment un couple inséparable.
L’universalité n’est pas le plus petit dénominateur commun ; elle est le défi commun, celui qui consiste à cultiver la condition humaine par un travail permanent sur nos contradictions communes. Elle ne s’oppose pas à la diversité, elle en est l’intelligence et le recueil.
§10. Proposition de la Déclaration de Fribourg
La Déclaration de Fribourg, texte proposé au débat public à partir du 7 mai 2008, rassemble et explicite les droits déjà reconnus de façon dispersée dans de nombreux instruments. Leur présentation en un seul texte a déjà permis de contribuer à leur éclaircissement et à leur développement ainsi qu’à la consolidation du principe de l’indivisibilité. Cette synthèse des droits culturels sert en outre à développer une méthodologie d’observation à travers un réseau ouvert d’experts. A partir d’un recueil des droits reconnus dans les instruments existants[9] (DS3), la Déclaration de Fribourg décline ainsi les droits culturels :
- la liberté de choisir ses références culturelles, d’établir des priorités et de les changer,
- la liberté d’exercer des activités culturelles, sous réserve du respect des droits d’autrui,
- le droit de connaître les patrimoines,
- le droit de se référer ou de ne pas se référer à une communauté culturelle,
- le droit d’accéder et de participer à la vie culturelle, à commencer par la langue,
- le droit à l’éducation,
- le droit à une information adéquate,
- le droit de participer à la vie culturelle et à ses politiques.
§11. Une possibilité d’organisation
On peut relever une organisation des droits culturels en trois pôles qui se complètent :
- Identité : les droits et libertés de choisir et de vivre son identité
- Communication : les droits à l’éducation tout au long de la vie, à l’information respectueuse des diversités culturelles, et au patrimoine.
- Création : toutes les libertés de la création
Cette interdépendance ne peut cependant être comprise en dehors du principe général de l’indivisibilité de tous les droits de l'homme.[10]
3. Définition
§12. Définition de travail
Les droits culturels sont les droits d’une personne, seule ou en commun, de choisir et d’exprimer son identité, d’accéder aux références culturelles, comme à autant de ressources qui sont nécessaires à son processus d’identification. [11]
Comme tous les autres droits de l'homme, les droits culturels garantissent à chacun du lien social libre et digne. Leur spécificité est de préciser la valeur de ces liens en termes de savoirs. Les droits culturels constituent les capacités de lier le sujet à d’autres grâce aux savoirs portés par des personnes et déposés dans des œuvres (choses et institutions) au sein de milieux dans lesquels il évolue.
§13. Caractéristiques
Les droits culturels ne correspondent pas à des « besoins tertiaires », ce sont au contraire des leviers principaux du développement de la personne, car ils protègent directement ses capacités, intimes et sociales.
- Ils concernent l’identité, en tant que processus permanent de reconnaissance et de choix de références; nul ne peut assigner quiconque à une référence, et encore moins à une seule référence.
- Les références culturelles, dans leur diversité, permettent à la personne de faire sa propre unité et de se lier de façon libre à d’autres, par des œuvres.
- En garantissant des accès aux autres et aux œuvres, les droits culturels permettent le croisement des savoirs, sans lequel un homme n’est rien à ses propres yeux comme aux yeux des autres. Sans ces liens, un homme est incapable et jugé comme tel : il ne peut ni exercer ses autres libertés, ni être membre d’aucune société. Par ex., le droit à la langue n’est pas qu’un droit parmi d’autres, c’est l’accès à une capacité qui ouvre sur toutes les autres.
- Conséquence : les droits culturels protègent les capacités d’une personne de se référer à des communautés dans une société.
§14. Une dynamique commune aux droits culturels
En résumé, la réalisation des droits culturels permet au sujet :
- de vivre librement son identité culturelle (§15), ce qui implique :
- l’accès à des œuvres culturelles (§16), lequel suppose à son tour :
- la capacité personnelle d’avoir des références, c'est-à-dire les savoirs nécessaires à l’accès aux savoirs disponibles à toutes sortes de ressources. (§17 et suiv.).
§15. La liberté de vivre son identité comme un processus de choix diversifié
L’identité n’est pas un donné, ni naturel, ni culturel, c’est un processus dont il faut respecter le diversité et la liberté. L’identité est au cœur du sujet un « propre » du sujet par lequel il construit et s’approprie ses relations aux autres, aux choses et à lui-même.
« l'expression “identité culturelle“ est comprise comme l'ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité; » Déclaration de Fribourg, art.2, b.
Il ne s’agit donc pas de « droit à la différence », car l’exacerbation des différences est source de violence, il s’agit de « droit à la diversité », car la valorisation de la diversité, impliquant les libertés, est source de sérénité. Avec A. Sen, nous distinguons ainsi trois libertés[12] :
- de choisir ses références (familiale, communautaire, professionnelle, linguistique, religieuse, …)
- de faire des priorités et d’en changer (et de souhaiter, ou non, les mentionner ou voir mentionnées),
- d’avoir des opportunités d’accéder à des œuvres, ce qui suppose un milieu culturel qui permette un accès diversifié et de qualité, notamment accès à l’éducation, à l’information, aux patrimoines.
§16. Les œuvres culturelles
Une œuvre est culturelle dès lors qu’elle ne se réduit pas à une production mais contribue à la communication, en tant que « porteuse d’identités, de valeurs et de sens » selon l’expression de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles[13]. Ce qui est culturel est ce qui relie par le sens, ce qui permet la circulation du sens. Par « œuvres culturelles » ou « biens culturels », on peut entendre des savoirs (être, faire, transmettre) portés par des personnes, des choses ou des institutions (organisations ou communautés). La dignité est individuelle et ne peut en aucun cas être relativisée à quoique ce soit qui la dépasserait, mais elle est inconcevable sans ses modes de filiation, de transmission ; ses écoles, ses communautés, ses patrimoines, ses medias, ses musées …
§17. Une référence culturelle
Une référence culturelle est ainsi un savoir qui donne accès à des savoirs. Pour exercer le droit à l’éducation, il faut avoir accès à des personnes (éducateurs) et à des œuvres (des livres, une école), dont le but est d’enseigner un savoir : savoir lire, écrire, communiquer, parler, vivre ensemble… Une référence culturelle peut alors être définie comme un savoir approprié, incorporé, qui permet d’avoir accès aux savoirs portés par des personnes et des œuvres. C’est la personne qui est au centre et qui choisit et compose son milieu culturel avec les références auxquelles elle peut avoir accès.
§18. Une activité culturelle
Les références culturelles ne sont pas des simples composantes qui s’ajouteraient à des besoins dits « primaires », elles relient l’ensemble des activités. Une activité culturelle peut être définie comme exercice, développement, communication d’un savoir. Par exemple, la dimension culturelle du droit au travail désigne sa valeur de liberté et de création, ce qui fait du travail une activité authentiquement humaine. C’est pourquoi les droits culturels, « conducteurs de sens », renforcent et relient les autres droits à leur fondement commun : la dignité sous ses mille et une formes.
§19. L’accès
L’accès à une ressource, matière de tous les droits culturels, signifie d’abord une connaissance (l’appropriation d’une référence), c’est pourquoi il est directement lié aux droits à l’éducation et à la formation ; c’est la compréhension des savoirs liés aux patrimoines, savoir être, savoir faire, savoir transmettre. Il comprend notamment :
- un accès matériel aux œuvres (aux savoirs et à leurs supports), qui ne signifie pas forcément le droit de tous de visiter n’importe quel site ou d’accéder à n’importe quelle œuvre sans disposer des autorisations nécessaires.
- une participation : l’action d’apprendre à agir avec ce capital, de se l’approprier, de le partager et de participer à sa transmission.
L’accès est limité par les nécessités de protection du patrimoine lui-même et des pratiques des personnes et communautés qui s’en réclament pour vivre leur identité.
§20. La participation
Une personne n’est respectée dans sa dignité que si elle est considérée comme pouvant participer elle-même, librement et de façon créative, à la reconnaissance et au développement des références culturelles, à la connaissance, à l’entretien et au développement des œuvres, qui importent pour elles et pour le milieu dans lequel elle vit. Cela implique une liberté de se référer, ou non, à des communautés culturelles (article 4 de la Déclaration de Fribourg) et de participer à trois niveaux (article 8 de la déclaration de Fribourg) : 1) des communautés culturelles auxquelles elle se réfère, 2) à l’élaboration et à la mise en œuvre de toutes les décisions qui la concernent, 3) à la coopération culturelle, sans considération de frontières.
§21. Conséquence : l’effet de levier, et la notion d’enrichissement
« L’action culturelle est effectivement primordiale. Elle permet de poser la question de l’exclusion humaine d’une manière plus radicale que ne le fait l’accès au droit au logement, au travail, aux ressources ou à la santé. On pourrait penser que l’accès à ces autres droits devient inéluctable, lorsque le droit à la culture est reconnu. »[14]
Tel est l’effet de levier ou effet déclencheur du droit de participer, qui implique l’exercice de l’ensemble des droits culturels. La réalisation de ce droit signifie que les personnes, en tant que ressources humaines, ont accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires à leur développement. C’est au sujet de décider quelles sont les références qu’il juge nécessaires, mais il a besoin de s’appuyer sur des personnes et des institutions d’enseignement et de communication qui lui donnent accès à des œuvres et lui enseignent les difficultés d’interprétation. Il s’agit autant de diversité que de qualité de choix : la diversité permet la liberté de choix, la qualité des références permet la liberté d’être ou d’épanouissement à travers une discipline culturelle maîtrisée ; la richesse ajoute la dimension qualitative à la diversité.
4. Renforcement de l’indivisibilité et de l’interdépendance
§22. Des droits individuels de participer à des expériences communes
L’identité culturelle concerne aussi bien les personnes que les communautés variées, mais cela ne signifie pas que les droits culturels soient individuels et collectifs, au même niveau. Le sujet est toujours la personne et l’exercice de ses droits, libertés et responsabilités se développe généralement « en commun » : chaque référence culturelle étant un lieu et un moyen de communication. Si les droits culturels permettent de préciser que le sujet des droits de l'homme échappe à l'alternative individu/collectivité, «toute personne, seule ou en commun»[15] signifie une double affirmation.
- Le sujet est l'homme individuel inconditionnellement, mais pour réaliser ses droits il peut revendiquer l’appartenance à une ou plusieurs communautés, groupes ou collectifs institués.
- Une communauté peut être un espace précieux, voire nécessaire, à l’exercice des droits libertés et responsabilités et mérite pour cela une protection : elle permet l’expérience de la transmission, du partage, de la réciprocité et du croisement des savoirs. Mais elle n’a de légitimité que conditionnellement, dans la mesure où elle est favorable aux droits des personnes.
Les deux termes de l’expression « seule ou en commun » sont également importants, tout en étant asymétriques. Si les droits étaient indifféremment individuels et collectifs, on risquerait de voir des collectivités s’affirmer au détriment des droits et libertés individuels. L’asymétrie signifie que les personnes et les communautés se développent mutuellement. Des droits collectifs sont certes nécessaires, mais leur légitimité est conditionnée au respect des droits individuels. Cette protection asymétrique des personnes et des communautés permet de souligner que les libertés culturelles s’exercent au sein de groupes ou face à eux, et donc que les communautés qui composent le tissu social sont à considérer comme essentielles pour la réalisation des droits, libertés et responsabilités culturels. Si, ce rapport personne / communauté est, en fait, vérifiable pour tous les droits de l'homme, les droits culturels l’explicitent en tant que droits à interagir avec des références communes librement choisies.
§23. Les droits culturels et les dimensions culturelles des autres droits de l'homme développent la compréhension de leur universalité
La clarification des droits culturels concerne les droits spécifiquement culturels et contribue aussi à la clarification des contenus et dimensions culturels des autres droits de l'homme
- Les droits spécifiquement culturels permettent de respecter les liens entre les hommes et leurs milieux, permettant de saisir la diversité de ces milieux avec la richesse – mais aussi les faiblesses – de leurs ressources. Les droits culturels se situent là où l’universalité est en jeu, ils permettent la déconstruction culturelle des pratiques néfastes, sans laquelle les condamnations ne peuvent porter réellement leur effet.
- La dimension culturelle d’un droit de l’homme n’est donc pas une relativisation mais une valeur ajoutée, c’est une extension de son universalité dans les détails d’une situation : l’universel est compris en relation avec les situations particulières dans une logique d’éclairage mutuel. L’exercice d’un droit culturellement adéquat, ou compris dans ses contenus culturels, permet de puiser dans les ressources culturelles, au besoin d’aller en chercher d’autres et de participer à la grande aventure humaine du croisement des savoirs.
A chaque fois que l’adjectif « adéquat » peut qualifier l’objet d’un droit de l’homme (alimentation, logement, soins, information… adéquats)[16], cela signifie que l’objet est réellement accessible pour le sujet, légitimement appropriable par lui, selon les différentes dimensions de l’adéquation : civile et politique, économique, sociale et culturelle. C’est une condition majeure de l’effectivité : l’accès au droit doit être adapté aux conditions du milieu du sujet.
§24. Les droits culturels et le traitement des violences
Déformées dans leur contenu, les revendications identitaires représentent un danger pour la paix et pour la compréhension de l’ensemble des droits de l'homme : ils « justifient » le relativisme et l’inaction, ou au contraire l’exclusion, les discriminations et les purifications ethniques, avec des actions humiliantes et violentes. Par ailleurs, la violation des droits culturels peut encourager la déformation de ces revendications. C’est pourquoi leur clarification et leur stricte insertion dans le système des droits de l'homme sont une urgence de ce temps, et constituent les bases et les conditions du dialogue interculturel.
§25. Les droits culturels au principe du développement
Tous les droits de l'homme sont des facteurs de développement puisqu’ils garantissent des accès, dégagent des libertés et autorisent des responsabilités. Mais parmi ces droits, les droits culturels sont plus encore des leviers permettant de prendre appui sur les savoirs acquis car ils garantissent le libre accès aux références et aux patrimoines.
Ce sont les droits qui autorisent chaque personne, seule ou en commun, à développer la création de ses capacités; ils permettent à chacun de se nourrir de la culture comme de la première richesse sociale ; ils constituent la matière de la communication, avec autrui, avec soi-même, par les œuvres.
§26. Gravité des violations de droits culturels
A contrario, l’effet paralysant des violations des droits culturels révèle une gravité extrême, largement négligée. L’homme pauvre et l’homme violenté, ne peuvent accéder aux libertés que s’ils peuvent s’approprier les liens avec les réserves de culture, les « capitaux culturels », fournisseurs et révélateurs de sens. Sans cet accès à la capacité de trouver du sens à l’existence, les aides diverses tombent à plat, elles restent extérieures ; elles ne peuvent atteindre la source de croissance des capacités. En outre, la ressource que lui-même pourrait constituer pour autrui est perdue. Les violations des droits culturels sont une humiliation des plus fondamentales et le gaspillage social le plus radical : les hommes sont séparés des ressources de liaison, de recueil.[17]
§27. La pauvreté culturelle
La pauvreté culturelle d’une personne ou d’une communauté se reconnaît à la pauvreté des références culturelles auxquelles elle a accès ; cela se traduit par un manque de capacités à se lier aux autres, aux choses et à soi-même. C’est :
- un dénuement car les personnes se trouvent très dépourvues de liens,
- un désoeuvrement, car les personnes sont sans activité (même si elles ont un emploi), sans utilité sociale ; si elles exécutent des tâches, celles-ci sont pour elles dépourvues de sens, de liberté et d’avenir ; elles ne peuvent formuler de projet ; elles ne peuvent pas faire l’expérience de rencontrer les autres par la reconnaissance et le partage des œuvres.
Leur soif de rencontre, de beauté, de reconnaissance et d’utilité pour autrui est sans objet. L’homme pauvre est un homme humilié parce que son identité est niée, comme enfermée et ignorée. L’analphabète dans un monde où tout s’écrit, celui qui n’a jamais éprouvé la possibilité de l’expression, celui qui n’a jamais été bouleversé par une œuvre, celui dont le travail n’est que répétitif et aliénant, ne peuvent accéder aux autre droits humains. Les violations des droits culturels sont une humiliation des plus fondamentales et le gaspillage social le plus radical : les hommes sont séparés des ressources de liaison, Ces droits permettent de communiquer avec autrui, avec soi, avec les choses et avec les œuvres.
§28. L’enchaînement des précarités
Les violations de ces droits empêchent le respect de tous les autres droits, car elles atteignent directement l'intégrité de la personne en ce qu’elle a de propre : son identité. La pauvreté culturelle est la base des autres dimensions de la pauvreté; elle empêche de sortir de l’enchaînement des précarités et fait obstacle à tout développement individuel et collectif. Il faut oser le normatif, celui du respect mutuel de la diversité et de l’universalité, l’une par l’autre, à l’inverse du relativisme comme de l’ethnocentrisme. Il faut oser regarder en face la « pauvreté culturelle », non pas le jugement d’un groupe sur un autre, mais la situation de personnes et de communautés dont l’accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires à l’exercice de tous leurs droits, est interdit ou déficient.
§29. Les violations des droits culturels démontrent l’universalité
Il faut oser le normatif, celui du respect mutuel de la diversité et de l’universalité, l’une par l’autre, à l’inverse du relativisme comme de l’ethnocentrisme. Il faut oser regarder en face la « pauvreté culturelle », non pas le jugement d’un groupe sur un autre, mais la situation de personnes et de communautés dont l’accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires à l’exercice de tous leurs droits, est interdit ou déficient. On peut se demander si, parmi les dimensions de la pauvreté, et celles de la violence, si la privation et l’humiliation culturelles ne sont pas les premiers facteurs de leur durabilité, et de l’inefficacité relative des mesures de « lutte contre la pauvreté » et de « lutte contre la violence ». La richesse et la paix demandent à être comprises et déclinées selon l’exigence des droits culturels au sein du système des droits de l'homme.
5. Les obligations
Proposition : l’obligation de respecter est d’abord celle d’observer
§30. L’observation, condition de l’obligation de respecter
L’obligation de respecter ne se réduit pas à un devoir d’abstention de l’Etat, puisque, lorsque des violations sont perpétrées, l’abstention devient une complicité. Respecter ne signifie pas seulement ne pas faire, ne pas nuire, mais agir de façon à ne pas nuire. Ma proposition est d’interpréter l’obligation de respecter par celle d’observer. Il s’agit en effet d’une obligation première de toute autorité démocratique qui consiste à « écouter » et « observer » celles et ceux qui sont victimes et qui sont témoins ou double sens de ce verbe : observer une situation et observer la loi, ici par la prise en compte des violations et des bonnes pratiques. Je m’attacherai ici exclusivement à démontrer pourquoi une interprétation exigeante de l’obligation de respecter est nécessaire à la définition concrète de l’unité des obligations de respecter, protéger, réaliser. En matière de droits culturels, le sens de cette obligation peut être déployé de façon très concrète.
§31. L’obligation d’observer
Comment peut-on respecter ce qu’on ne connaît pas ? Si les ressources les plus précieuses du développement de l’enfant comme de nos sociétés se trouvent dans des capacités qui passent facilement inaperçues, la première obligation de tous les détenteurs de savoir et de pouvoir, sous garantie de l’Etat, est d’observer. Cette remarque est certes valable pour tous les droits de l'homme. Mais les droits culturels d’une part, les droits des enfants d’autre part, demandent une innovation permanente à partir de capacités qui passent facilement inaperçues. Plus encore, leur respect implique de porter toute l’attention sur les cloisonnements sociaux qui sont la première source des discriminations multiples et des gaspillages. Bref, les porteurs de cultures sont aussi porteurs de la confiance dans les savoirs et la valeur de leurs croisements, cette confiance qui, seule, peut lutter contre l’apathie politique, la passivité des citoyens et des décideurs qui préfèrent les solutions déjà prêtes et surtout les cloisonnement, La passivité – appelée manque de volonté politique – est une pesanteur entropique qui standardise, contrôle et marginalise diversité et créativité. L’observation est la première condition du développement d’une volonté politique démocratique. L’observation participative est elle-même une discipline culturelle, puisqu’il s’agit de recueillir et interpréter des savoirs, des porteurs et des enjeux stratégiques. L’obligation d’observer est paradoxalement, peut-être la plus active.
§32. L’obligation d’observer les ressources des personnes et des milieux
Les obligations liées à la nécessité de respecter à la fois les libertés culturelles de chacun, en particulier celles des personnes en situation défavorisées qui sont les plus délicates, et la valeur des savoirs sans lesquels ces libertés sont dépourvues de substance, commencent par celles d’observer, de répertorier, de comprendre. Il n’est pas anodin que le verbe « observer » a deux sens inséparables : considérer avec attention pour recueillir les éléments de compréhension, et obéir à une loi ou un précepte. Il s’agit ici d’obéir au droit des personnes et de toutes celles et de tous ceux qui en ont des responsabilités à leur égard. Non seulement l’obligation de respecter ne se réduit pas à l’ancienne « obligation négative », mais elle ne se limite pas non plus au respect direct des personnes ; elle implique aussi, à certaines conditions, celui de leurs ressources, notamment de leurs œuvres.
§33. Respecter / observer les personnes
Respecter les personnes, c’est être capable d’observer et de recueillir leurs capacités. Cette obligation a, à l’évidence, une valeur infinie spécialement dans le domaine de l’enfance : qui peut dire quelles sont les capacités d’un enfant ? Cela demande une observation continue, tout au long du mûrissement des aptitudes, compte tenu des opportunités des milieux. Il s’agit aussi de valoriser les « distinctions structurantes » entre les âges et entre les différentes conditions culturelles des enfants et de leurs milieux, toutes ces distinctions qui concourent au recueil d’une universalité enrichie par le respect de la diversité.
§34. Respecter / observer les œuvres
Respecter les œuvres, c’est-à-dire des savoirs portés par des œuvres et des institutions et traditions est une condition nécessaire au respect des personnes. Là encore, il s’agit d’observer la diversité et la qualité des ressources culturelles disponibles, les patrimoines au sens large (tous les objets porteurs de savoirs, paysages, langues, traditions)[18].
§35. Respecter / observer les acteurs
Respecter les acteurs, c’est respecter leurs capacités réelles à exercer leurs obligations à l’égard des sujets de droit, sous garantie de l’Etat. En ce qui concerne, par exemple, les droits culturels des enfants, il s’agit d’abord des parents, ce qui implique des mesures de protection à l’égard de leur droit à exercer leurs responsabilités. Mais cela concerne aussi les éducateurs et enseignants qui doivent bénéficier d’une autonomie légitime dans l’exercice de leurs responsabilités, en interaction avec les parents et les autres acteurs. L’observation doit enfin porter sur les capacités des différents acteurs producteurs d’œuvres culturelles, non seulement de moyens d’enseignement et d’œuvres artistiques, mais aussi ceux qui produisent des biens à forte valeur culturelle comme la nourriture, le vêtement ou l’habitat. Il s’agit de veiller à observer, respecter et restaurer une continuité culturelle vivante et innovante entre les différentes activités.
§36. L’observation démocratique
La première obligation des autorités publiques est, à mon sens, de garantir l’efficacité de dispositifs divers et appropriés d’observation, impliquant tous les acteurs concernés, ainsi que l’utilisation des données recueillies dans l’interprétation et la mise en œuvre démocratique de toutes les politiques qui concernent directement et indirectement les droits des personnes, notamment les plus vulnérables. La pratique de l’observation participative est immédiatement une réalisation du droit de chacun à participer à une information adéquate.
§37. Le principe de protection mutuelle des ressources personnelles et collectives
Le principe de la protection mutuelle signifie que droits individuels et richesse des milieux se protègent mutuellement. Pour les droits culturels, comme pour les autres droits de l'homme, la protection mutuelle signifie dans toute politique démocratique:
- le respect des personnes comme titulaires de droits et bénéficiaires de prestations, mais aussi en tant qu’acteurs libres et responsables dans leur participation à l’intérêt général ;
- le respect, l’entretien et le développement des patrimoines, milieux et systèmes sociaux, sans lesquels les droits individuels n’ont pas de sens.
Nous sommes, encore une fois, au-delà du clivage entre droits individuels et droits collectifs, car tout droit personnel se réalise par un droit, une liberté et une responsabilité d’accès à un système social. Il est individuel dans son sujet et collectif dans son objet. La protection mutuelle implique une « stratégie en tenaille » du tissu social, avec les personnes au centre en tant qu’acteurs, interagissant par leurs œuvres communes. Le principe de protection, cependant, ne peut se réduire au protectionnisme; il implique une valorisation mutuelle, une compréhension dynamique de l’économie des valeurs. Ce qui fait la richesse du développement, aussi bien personnel que social, est la rencontre entre les deux valeurs, celles des personnes et celles des patrimoines et capitaux disponibles : ressources humaines et non humaines. En tant que droits et libertés personnels d’accès aux ressources nécessaires à l’exercice de l’identité, les droits culturels sont au centre du processus de développement social. Il s’agit d’établir les liens entre les capacités culturelles de chacun et la richesse culturelle de ses milieux, dont le premier indicateur est la diversité. Les droits culturels protègentla diversitédes facteurs de lien social et politique qui permettent aux personnes de se relier librement entre elles en se référant à d’autres personnes et à des oeuvres. La violation des droits de quelques-uns signifie une atteinte à leur dignité et une privation de ressources, un appauvrissement des ensembles sociaux auxquels ils participent. Le lien personne / société est particulièrement sensible, car il révèle des faiblesses dont la gravité est insoupçonnée : les faiblesses culturelles qui assèchent toutes les capacités.
§38. Le « respect critique » : point crucial
Il ne suffit pas de protéger l’individu si on ne porte pas aussi l’attention sur ses liens appropriés. Le respect des libertés du sujet suppose la considération des œuvres. La question est posée aujourd’hui aussi bien dans le cas des « faussaires de l’histoire », ceux qui portent atteinte à la dignité de la mémoire, que dans le cas du « dénigrement » des religions. Il s’agit de protéger à la fois les libertés intellectuelles et la qualité des références aux œuvres culturelles. Cela signifie que l’accès à l’objet suppose une discipline. Chaque « objet culturel » - un savoir porté par une communauté, une tradition, un livre, une architecture - possède une cohérence qu’il convient d’apprendre à connaître, sans quoi ces objets sont inaccessibles ou non respectés. Une liberté devient culturelle lorsqu’elle est cultivée, c'est-à-dire qu’elle a su maîtriser une discipline et son langage, quitte à s’en affranchir ensuite. sans recherche d’une vérité commune – celle du respect commun de la discipline partagée - les libertés des individus perdent leur sens et ne peuvent communiquer : elles sont abandonnées à l’arbitraire et à l’anarchie du relativisme culturel. Les savoirs acquis constituent un seuil d’intelligibilité commune : l’état d’une rationalité en chantier. Par « respect critique» ou « considération », nous entendons que l’attitude critique par rapport à un savoir, un patrimoine, une activité ou une institution, n’est légitime que si elle se fonde sur le principe de la bonne foi dans la recherche du raisonnable.[19]
§39. Protéger la liberté de critique en même temps que la cohérence des savoirs
Le droit au « respect critique », non seulement permet et tolère, mais appelle la libre critique : la référence devient elle-même aveugle et liberticide si l’espace d’interprétation, de critique et d’adaptation n’est pas garanti et régulièrement occupé. Le respect critique est précieux pour protéger l’œuvre de critiques d’arbitraires. Comment distinguer celles-ci des critiques respectueuses ? Seul le débat public régulièrement institué entre les différents acteurs rassemblant les connaissances disponibles, peut authentifier des limites raisonnables ainsi que les marges d’appréciation. L’exercice du respect critique est également précieux pour protéger l’œuvre collective (communauté, institution) de sa propre sclérose : non seulement la critique rationnelle vigoureuse est tolérée, mais elle est souhaitée. La condition de respect critique ne s’oppose donc pas à l’exercice de la libre critique, elle en est au contraire la base raisonnable et la condition de légitimité : elle permet d’ouvrir la discussion et donc la libre critique dans la connaissance des « règles de l’art » de la discipline concernée, quitte à les contester. Il est permis et souhaitable de critiquer, il est interdit de faire comme si on possédait le savoir, la science exacte, la juste doctrine politique.
§ 40. La coopération culturelle
Une attention spéciale doit être accordée à la protection de la coopération culturelle, selon le §4 de l’article 15 du Pacte 1. Il s’agit de prendre en compte le caractère transnational de toute référence culturelle, en vertu du principe selon lequel la diversité culturelle relève du patrimoine commun de l’humanité, selon les textes de l’UNESCO. On peut émettre l’hypothèse que le désordre entre les Etats, notamment l’interprétation abusive du principe de non ingérence, provient en bonne partie du non respect du caractère transnational de la vie culturelle. Ce respect est au principe d’une démocratisation des relations internationales, et donc de la paix et d’un développement équitable.
Patrice Meyer-Bisch
Observatoire de la diversité et des droits culturels www.droitscullturels.org
Institut Interdisciplinaire d'Éthique et des Droits de l'Homme (IIEDH)
et Chaire UNESCO pour les droits de l'homme et la démocratie www.unifr.ch/iiedh
[1] Le présent document de travail reprend en partie, précise, réorganise et développe le document intitulé Droit de participer à la vie culturelle (E/C.12/40/8. 9 mai 2008), présenté au Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans la journée de débat général consacré à l’article 15
[2] PNUD, 2004 : Rapport mondial sur le développement humain. La liberté culturelle dans un monde diversifié, Paris, Economica, p.1.
[3] Sur les liens entre exception culturelle et « exception française », voir le numéro 16 de Cosmopolitique : Une exception si française, 2007, Paris, Apogée.
[4] « La culture doit être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social, (…) elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, 4ème considérant).
[5] La Déclaration est accessible sur notre site en diverses langues, avec de nombreux Documents de Synthèse explicatifs : www.droitsculturels.org. Cette Déclaration se présente comme un texte « issu de la société civile », chacun pouvant y adhérer en ligne, la déployer dans son cadre de vie et apporter ses propres observations.
[6] Cet argument a été développé par la plate-forme d’ONG pour la protection et la promotion de la diversité et des droits culturels dans ces différentes prises de positions qui ont accompagné la création du mandat d’expert indépendant. Voir sur le site de l’Observatoire, le Document de Synthèse : Situation des droits culturels. Argumentaire politique (DS2 du 20.12.09).
[7] Article 5, et § 4 du Plan d’action : « Avancer dans la compréhension et la clarification du contenu des droits culturels, en tant que partie intégrante des droits de l'homme. »
[8] Premier principe de l’article 2. La Résolution 60/167 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 7 mars 2006, considère le lien de renforcement mutuel « entre le respect de la diversité culturelle et des droits culturels de tous » (§8).
[9] Voir sur le site de l’Observatoire, le Document de Synthèse : Les droits culturels. Etat des lieux et liste de droits (DS3).
[10] Pour une analyse de la Déclaration de Fribourg selon ces trois pôles, voir le dossier « débat » qui lui est consacré dans la Revue Droits fondamentaux (en ligne), 2007 - 2008 : www.droits-fondamentaux.org, avec également les contributions d’Emmanuel Decaux et de Mylène Bidault.
[11] Définition à paraître dans le commentaire, article par article de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels..
[12] Voir les démonstrations convaincantes d’Amartya Sen dans le Rapport mondial sur le développement humain 2004. La liberté culturelle dans un monde diversifié, Paris, Economica. Elles sont développées dans dans Identity and Violence. The Illusion of Destiny, 2006, Norton and Company. Pour la traduction française : Identité et violence, Paris, 2007, Odile Jacob.
[13] 18ème considérant : « considérant que les activités, biens et services culturels, ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens… ».
[14] Joseph Wresinski, Culture et grande pauvreté, Editions Quart-Monde, Paris, 2004, p. 40. Fondateur d’ATD Quart Monde, ONG qui œuvre au service des droits de l'homme des personnes et de leurs familles en situation d’extrême pauvreté.
[15] L’expression est inspirée de la DUDH, a.17, sur le droit à la propriété : « Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété » . L’expression « individuellement ou en commun » est aussi utilisée pour le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, PDCP, a. 18 ; l’article 27 du même Pacte énonce que « les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de pratiquer et professer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ».
[16] Voir les Observations générales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, notamment les Observations générales 4, §8 sur le droit au logement; 12, §7 et 11 sur le droit à une alimentation adéquate ; 13, §6, sur le droit à l’éducation ; 14, § 12 sur le droit à la santé ; 15, §11 et 12 sur le droit à l’eau.
[17] Voir les actes d’un colloque tenu à Nouakchott : Droits culturels et traitement des violences, S. Gandolfi, A.Sow, C. Bieger-merkli, P. Meyer-Bisch, (ss. la dir. de), Paris 2008, L’Harmattan, 206p
[18] Le droit de participer aux patrimoines est reconnu, dans ses multiples dimensions, en tant que droit individuel d’accès dans la Convention du Conseil de l’Europe, la Convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (No199, 27.10.2005), dite « Convention de Faro » actuellement ouverte à la signature.
[19] Ces aspects sont développés dans mon rapport : Les obligations liées à l’exercice des libertés d’expression et de conviction au regard du respect de la diversité des ressources culturelles, http://www2.ohchr.org/english/issues/opinion/articles1920_iccpr/experts_papers.htm